Article publié en mars 2022 dans Nice Matin

Très fréquente, notamment chez le sportif, la rupture du ligament croisé du genou bénéficie de progrès chirurgicaux majeurs. Si la reprise du sport est importante, ce sont les résultats à long terme qui vont dicter la prise en charge.

Chute en ski ou simple changement de direction au football. Brutalement, ça craque, puis ça gonfle et ça fait mal, très mal. La rupture du ligament croisé antérieur (LCA), essentiel à la stabilité du genou (antérieure et rotatoire), est un traumatisme particulièrement répandu parmi les professionnels et amateurs de sports à pivot (football, ski, handball … ). Et malheureusement, une fois rompu, le LCA ne cicatrise pas toujours correctement (lire interview ci-dessous).

Il faut alors en passer par la case bloc chirurgical. « Réparer le LCA. ne suffit pas; on doit réaliser une ligamentoplastie, en remplaçant le LCA. rompu par un autotransplant de substitution (greffe dans laquelle le greffon est prélevé sur le sujet lui-même, Ndlr).», introduit le Dr Bernard Schlatterer, chirurgien du sport à l’IM2S (Institut Monégasque de Médecine du Sport). Exit « la même technique pour tous», en vigueur il y a une trentaine d’années. « Les techniques de reconstruction du LCA se sont diversifiées, grâce aux différentes possibilités de prélèvements tendineux pour constituer une autogreffe sur le genou opéré. Ça permet d’adopter une approche plus personnalisée que dans le passé. Et c’est essentiel sachant que chaque individu est unique; on doit respecter l’anatomie native de chacun. Le choix de la technique tient aussi compte des exigences du patient et des sports pratiqués.»

Vision à long terme
« Risque de rechute en cas de reprise trop rapide »

La reconstruction du LCA a connu de nombreuses évolutions, au cours des dernières années. Principal objectif: mieux contrôler la laxicité rotatoire du genou (instabilité) et prévenir ainsi le risque de rechute, après une première intervention. Un risque accru en cas de reprise trop rapide du sport « Il faut alors reconstruire mais en étant contraint de changer de technique … Et là, la situation se complique sérieusement», met en garde le Dr Schlatterer.

Alors que dans le passé, le choix de la technique, était ainsi dicté par le délai de la reprise sportive – il fallait qu’il soit le plus court possible – « aujourd’hui, on se focalise moins sur la seule échéance de reprise du sport, on privilégie une vision à long terme, en s’assurant bien que la greffe est viable et pérenne.» Les thérapeutes appellent à une vigilance particulière vis-à-vis des sportifs les plus jeunes. « Il faut absolument les protéger d’une reprise trop rapide, car en cas de nouvelle rupture, ils ont un risque élevé d’abîmer leur ménisque. »

Autant de références à une période – jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix- où des protocoles de rééducation accélérés autorisaient la reprise du sport de compétition entre 4 et 6 mois pour les jeunes sportifs . « Or, on a finalement pu observer que dans la période de 6 à 9 mois suivant l’intervention, le risque de rechute pouvait alors être multiplié par 7, avec la reprise des activités à risque ! »

« Dans tous les cas, la reprise des matchs (pour les footballeurs) ne peut en aucun cas être envisagée avant 6 mois », conclut le Dr Jean-Marc Parisaux, médecin rééducateur et du sport à l’IM2S.

Comment juger du succès de l’intervention ?

« La qualité des résultats chirurgicaux se fonde sur deux grands paramètres. Fonctionnel d’une part: le genou n’est pas douloureux, il ne gonfle pas, et il a récupéré toute sa mobilité. Anatomique d’autre part: le genou est stable, on n’observe pas de laxité anormale, ou seulement modérée. Ensuite, il y a l’aspect du greffon à l’IRM, mettant en évidence une bonne intégration. »

C’est seulement quand tous ces critères sont validés que le feu vert à la reprise du sport de compétition pourra être donné, «entre 6 et 9 mois après l’intervention, selon les cas».

Plasties mixtes

A l’IM2S, ce sont les plasties mixtes sous arthroscopie qui font école, notamment en cas de pratique de sports à risque

«Depuis la découverte anato­mique très controversée en 2013 d’un«nouveau» liga­ment antérolatéral dans le genou humain, on observe un regain d’intérêt pour ces plas­ties mixtes, c’est-à- dire à la fois intra et extra articulaire, qui permettent de mieux con­ trôler la laxité rotatoire avec un taux de rechute moindre, commente le Dr Schlatterer. Une sorte de « bretelle » laté­rale additionnelle à la recons­truction intraarticulaire est éla­borée pour neutraliser toute rotation médiale excessive du genou responsable des ruptu­res du LCA.»

L’intervention, sous anesthésie locorégionale, dure moins d’une heure, et se fait dans plus de 90% des cas, en ambulatoire. « Mais, si on souhaite contrôler les douleurs post-opératoires, il est préfé­rable d’hospitaliser le patient 24h».

Les signes d’une rupture du LCA

Le mécanisme le plus fréquent est la rotation médiale du genou avec un pied qui tourne en dedans. Un craquement est perçu au moment du traumatisme, avec pour le patient une impression de déboitement correspondant à une luxation du genou qui se remet automatiquement en place.

L’impotence fonctionnelle dou­loureuse est marquée avec l’arrêt immédiat des activités sportives. Le genou gonfle rapidement (dans les minutes qui suivent) conséquence d’une hémar­throse (épanchement sanguin dans l’articulation). Une IRM pratiquée en urgence et un bon examen clinique per­mettent un diagnostic précis.

Dr Bernard Schlatterer

Interview Express du Dr Bernard Schlatterer, chirurgien du sport à l’IM2S

« Prise en charge personnalisée des entorses du genou »

Pourquoi tant de personnes se plaignent de douleurs du genou ?

Les douleurs au genou sont effectivement fréquentes et en progression; elles peuvent être liées à de multiples causes. Les douleurs rotuliennes (un des trois os qui constituent le genou, Ndlr), sans cause apparente, sont les plus fréquentes chez les jeunes. Viennent ensuite les séquelles traumatiques liées à la pratique du sport et enfin l’arthrose, avec les lésions dégénératives chez les vétérans.

Quels sont les sports les plus traumatisants pour les genoux ?

Le football, sport à pivots et contact, est sans aucun doute le plus à risque pour les genoux. Incroyablement, dans ce sport, le mécanisme lésionnel résulte parfois d’un simple changement de direction, sans aucun contact. Les terrains synthétiques et les chaussures à crampons fixent le pied au sol avec pour conséquence un couple de torsion délétère. Suivent le ski, puis les autres sports à pivots. Mais, dans le cas du ski, ce sont surtout les chutes qui sont pourvoyeuses d’entorses graves et même de fractures du genou. Ne pas déchausser à faible vitesse est parfois plus dangereux qu’une chute à haute énergie cinétique.

Qu’est-ce qui pèse dans la décision d’opérer rapidement une entorse (lésion ligamentaire) grave?

En cas de lésion méniscale difficile à suturer ou régulariser (intervention consistant à retirer la partie abîmée du ménisque, Ndlr), ou lorsqu’un autre ligament est lui aussi touché et doit être réparé, l’urgence se discute eu. Dans les autres cas, il faut parfois laisser murir la décision d’opérer – ou pas- en fonction du profil évolutif et du suivi du patient. C’est ce que l’on appelle le timing chirurgical.

Avec l’IRM à haute résolution, le diagnostic de la lésion est plus précis; différents types de ruptures du LCA peuvent ainsi être identifiés avec pour chacun un potentiel de cicatrisation différent, ce qui nous permet d’être plus ou moins interventionniste selon les cas. Le contexte professionnel et le psychisme sont aussi à prendre en considération.

La question se pose différemment lorsqu’il s’agit d’un professionnel qui doit reprendre le sport plus vite; dans ce cas, les aléas du traitement conservateur (sans intervention) sont une perte de temps en cas d’échec.

Nancy CATTAN

Chef de rubrique Santé de Nice Matin
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Dr Bernard SCHLATTERER

Chirurgien orthopédiste

genou

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