Fig. 1 : Représentation d’une coalition calcanéo-naviculaire (rouge) et de son retentissement (flèches) sur les articulations adjacentes lorsqu’elle devient synostose.

Une cause fréquente d’entorses récidivantes (fausses entorses) de l’enfant

Une douleur aiguë du pied ou de la cheville de l’enfant sportif est très vite étiquetée « entorse », tant le phénomène est banal. De ce fait, nous voyons de plus en plus de jeunes enfants et adolescents consulter pour douleurs du pied, étiquetées « récidive d’entorse ».

C’est dans cette période de croissance des os du pied que se dévoilent les pathologies ostéo-cartilagineuses : ostéochondrose (pathologie des insertions tendineuses), os surnuméraire et coalition des os du tarse.

Il faut donc savoir reconnaître parmi toutes les étiologies, ces coalitions osseuses qui sont cependant rares, 1 %. Elles peuvent être fibreuses (syndesmoses), cartilagineuses (synchondroses) ou enfin osseuses (synostoses).

La terminologie a beaucoup d’importance car lorsque le pont fibreux, cartilagineux ou osseux est incomplet, il reste élastique et permet la mobilité sans symptomatologie. L’ossification progressive va neutraliser le mouvement, localement, dans l’articulation calcanéo-naviculaire et entraîner des répercussions sur les articulations voisines à l’origine de douleurs ou déformations des os proches. [fig.1]

1 – Comment ces points fibreux, cartilagineux et osseux surviennent-ils ?

Embryologiquement, ils peuvent se produire par absence de segmentation des ébauches mésenchymateuses du pied dessinant les articulations sous talienne et médio-tarsienne. [fig.2]

D’autres étiologies ont pu être décrites, infectieuses, traumatiques, iatrogènes, mais elles sont facilement retrouvées à l’interrogatoire. La phase la plus active de la croissance et de l’ossification du pied se fait en période pré pubertaire, au moment où l’enfant augmente en taille, en poids et pratique des activités sportives nombreuses, réclamant une grande mobilité sous talienne ou médio tarsienne. La physiologie du pied de l’enfant est la même que celle de l’adulte avec des amplitudes plus importantes; elle se caractérise par l’interdépendance articulaire. Ceci explique les phénomènes cliniques différés à l’adolescence sans aucune expression clinique antérieure.

coupe-sagittale-pied
Fig. 2 : Coupe sagittale du pied fœtal à la 10ème semaine objectivant la persistance physiologique d’un pont cartilagineux calcanéo-naviculaire (flèche) en cours de séparation mésenchymateuse.

2 – La triade douleur – déformation – raideur est typique

En raison de la variété anatomique et histologique des lésions, les tableaux cliniques sont nombreux.

L’enfant se plaint de sensation d’instabilité de son pied, de dérobement, de perte de la « fiabilité » du pied à la pratique du sport.
Plus évocateur est celui d’un enfant actif, ayant des antécédents douloureux, bien localisés, parfaitement décrits et étiquetés à tort « entorses récidivantes ». La douleur est très invalidante, interdisant de plus en plus la pratique sportive voire la marche. Les orthèses plantaires, les modifications du chaussage ont parfois entraîné un soulagement passager.

L’examen retrouve parfois une douleur à la palpation ligamentaire de la cheville. En passif, la mobilité forcée est douloureuse, en médio tarsien. La manœuvre en éversion forcée du pied entrainant une compression du sinus du tarse, révèle une synostose calcanéo-naviculaire en cours de formation.
Cet examen est difficile, surtout si le pied est douloureux. Des signes indirects peuvent attirer l’attention : contracture douloureuse des péroniers, des extenseurs, du jambier antérieur.

3 – La radiographie standard est un piège

L’enfant consulte le plus souvent avec des radiographies de face et de profil interprétées comme normales et qui ont conduit à éliminer toute pathologie osseuse.

Si la clinique parle pour le tarse, le dessin de l’interligne médio tarsien ne peut être objectivé que sur un cliché de 3/4 ou oblique plantaire déroulé du pied (OPDP). [fig.3] Sur cette incidence simple, il est facile de mettre en évidence un pont osseux complet calcanéo-naviculaire, une synchondrose incomplète avec des ossifications et des fragmentations, en cours de coalition ou une image de bec calcanéen, appelé plus justement T.L.A.P.  » too long anterior process  » (forme atténuée de coalition calcanéo-naviculaire entraînant un conflit médio-tarsien). [fig.4 a et b]

Fig. 3 : L’incidence oblique plantaire déroulée du pied (OPDP) est plus adaptée au diagnostic des formes mineures
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Fig. 4 a – Clichés comparatifs : processus antéro-médial (flèche) du calcanéum trop long (TLAP). En position neutre, ce processus affleure l’os naviculaire en restant à distance de la tête de l’astragale.
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Fig. 4 b – En supination forcée, ce processus se trouve enserré entre la tête de l’astragale et le cuboïde pouvant léser alors le cartilage astragalien.

4 – D’autres examens peuvent apporter des éléments supplémentaires

L’IRM est un très bon examen chez  l’enfant de moins de dix ans chez lequel on souhaiterait mettre en évidence un pont fibreux ou cartilagineux, mal visualisé par la radiographie. [fig.5] Le scanner est intéressant surtout chez l’enfant plus grand avec reconstruction en 3D pour mieux appréhender l’anatomie de ces coalitions du tarse. [fig.6]

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Fig. 5 : Bec calcanéen (TLAP) bien visible sur une IRM
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Fig. 6 : Bec calcanéen et aspect de présynostose synchondrose bien objectivé par un scanner

5 – La prise en charge a beaucoup évolué depuis peu

Le traitement orthopédique peut associer la rééducation aux semelles et orthèses souples.
La résection chirurgicale du pont osseux suivie d’un plâtre de quelques semaines permet de diminuer l’œdème postopératoire. Une rééducation active et passive douce est débutée avec un appui précoce dès l’indolence obtenue.

6 – Les indications et les contre-indications

Elles sont maintenant mieux connues qu’il y a une dizaine d’années.
Quel que soit le traitement choisi, des précautions sont à retenir :

  • toujours tenter le traitement orthopédique avant tout acte chirurgical
  • prévenir des risques possibles de douleurs post-opératoires, du résultat imparfait sur la morphologie et la mobilité
  • proposer la chirurgie de chaque côté séparément

  • immobiliser le pied le plus brièvement en post-opératoire

  • respecter les indications chirurgicales et leurs limites.

L’âge

Il va de soi que plus la coalition est fibreuse ou cartilagineuse, meilleur sera le résultat mais il est difficile de mettre en évidence cette étiologie sur un pied asymptomatique.

Coalition calcanéo-naviculaire et TLAP

La résection de la coalition calcanéo-naviculaire si elle est assez large donne d’excellents résultats, à condition de ne pas immobiliser trop longtemps le pied en post-opératoire.
La résection du TLAP n’est justifiée que lorsqu’il existe des signes patents cliniques et radiologiques de trappage du bec calcanéen en supination forcée.

Quels résultats peut-on attendre ?

Si le traitement orthopédique a permis de soulager le pied, il faut s’en tenir là. Par contre, en cas d’échec, la résection de la coalition calcanéo-naviculaire est tout à fait indiquée en respectant bien sûr les contre-indications citées plus haut.
Les résultats des résections des ponts calcanéo-naviculaires (et TLAP) sont toujours très bons, quelque soit la taille du pont, à condition qu’il n’y ait aucun retentissement de celui-ci sur les autres articulations.
La douleur mettra toujours beaucoup de temps pour disparaître, entre quatre et douze mois. Mais l’indolence est pratiquement toujours la règle quelque soit les séries de la littérature.

CONCLUSION

Les coalitions des os du tarse ne sont pas des raretés.
Il faut absolument les rechercher dès que l’on examine un pied plat raide et douloureux d’un (pré)adolescent, surtout lorsque celui-ci est unilatéral.
La mise en évidence radiologique est relativement simple, dans la mesure où l’on sait demander un cliché de 3/4 et une IRM ou un scanner.
Le traitement orthopédique doit être toujours essayé. En cas d’échec de celui-ci la résection d’une coalition calcanéo -naviculaire donne d’excellents résultats.

Fiche infos

Dr Édouard CHAU

Chirurgien orthopédiste pédiatrique
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